Sous-sections

Le processus de conception

Résumé :

Les modèles du processus de conception prescrivent quelles sont les phases de conception et leur organisation temporelle. Sur ces modèles sont basés des méthodes et outils de conception qui vont guider l'organisation de l'activité de conception et les stratégies de conception, au niveau individuel et/ou au niveau collectif : par exemple, les méthodes hiérarchiques descendantes de conception, la méthodologie de programmation orientée-objet (OO) ou encore des outils de conception collective basés sur des modèles de processus en ingénierie concourante. L'étude des activités réelles des concepteurs dans des situations de conception, individuelle ou collective, offre une base empirique pour l'évaluation des méthodes de conception, ou pour la spécification de méthodes quand celles-ci font défaut. Sous cet axe, nos travaux actuels portent sur le processus de conception collective, notamment la conception distribuée et la co-conception en ingénierie concourante, et sur les processus cognitifs impliqués dans la conception individuelle, notamment la conception d'itinéraires, et la conception de logiciel. De plus, nous avons commencé une réflexion méthodologique sur l'analyse des réunions de conception.

Méthodologie d'analyse de réunions de conception



Participants : Françoise Détienne, Willemien Visser.

La majorité des projets de conception industriels sont traités en équipe. Pourtant les études empiriques sur la conception collective sont encore récentes [11]. Dans cette organisation collective de la conception, les réunions sont un lieu privilégié pour l'avancement des projets. Actuellement, nous ne disposons que de peu d'outils méthodologiques d'analyse de réunion de conception. Les méthodes actuelles en Psychologie cognitive s'appliquent à l'analyse de protocoles individuels de conception, mais pas aux situations de groupe. Les linguistes ont développé des méthodes d'analyse de dialogues qui n'ont pas prévu les concepts nécessaires pour rendre compte des situations de travail, e.g., des réunions finalisées par une tâche collective comme la conception. Il y a donc un réel besoin méthodologique pour rendre compte de l'activité mise en oeuvre dans ce type de situation.

Nous menons une réflexion méthodologique sur l'analyse des réunions de conception, notamment de co-conception [15]. Cette réflexion est menée en collaboration avec le laboratoire d'Ergonomie du CNAM. Des problèmes méthodologiques, relatifs à différentes phases d'analyse, ont été identifiés : (1) l'identification d'unités de codage inférieures aux tours de paroles ; (2) le développement d'un schème de codage : étapes dans la définition d'un schème de codage, prise en compte du niveau argumentatif, résolution des ambiguïtés sémantiques ; (3) la mise en évidence des mouvements de coopération : regroupement des unités de codage, formalisation des mouvements de coopération, prise en compte de l'argumentation, inférence des unités manquantes, réorganisation des séquences. Ces différents points sont discutés relativement à deux protocoles de réunions de conception : conception de réseau et conception de logiciel. Notre objectif, à plus long terme, est de développer une méthodologie d'analyse qui puisse s'appliquer à toute situation de conception collective.

Le processus de conception collective en ingénierie concourante



Participants : Françoise Détienne, Géraldine Martin.

Un enjeu majeur de la modernisation des entreprises est de créer de nouvelles organisations de conception qui prennent en compte le caractère collectif du travail, le décloisonnement des différents métiers. Le nouveau modèle du processus de conception en ingénierie concourante s'inscrit dans cette démarche. Pour mieux maîtriser les coûts, la qualité et les délais dans la conception de produits, cette nouvelle approche organisationnelle est de plus en plus empruntée: son objectif est de favoriser "la conception simultanée et intégrée des produits et de leurs méthodes et procédés de fabrication associés ainsi que de la logistique de soutien nécessaire à l'exploitation de ces produits par leur utilisateur final" [Bos97]. Les différents métiers de la conception (e.g., structure, systèmes électriques, systèmes hydrauliques) et de la fabrication qui, traditionnellement, intervenaient de façon séquentielle dans le processus de conception, sont, selon ce nouveau modèle, appelés à intervenir simultanément et en interaction dès les premières phases du processus de conception.

Dans le cadre d'une convention CIFRE (INRIA -Aérospatiale Matra Airbus), nous avons analysé la mise en place d'une méthodologie d'ingénierie concourante [17]. Nous avons choisi un cadre théorique pour l'étude du processus de conception en ingénierie concourante : ce processus de conception est caractérisé par des cycles de conception distribuée et de co-conception.

Nous avons analysé, sur la base d'entretiens et d'observations, les processus coopératifs mis en oeuvre dans la conception distribuée. Les problèmes de synchronisation opératoire se trouvent au coeur de ces situations. La synchronisation opératoire remplit deux fonctions : (1) elle vise à assurer la répartition des tâches entre les partenaires de l'activité collective ; (2) elle assure, selon les cas, le déclenchement et l'arrêt, la simultanéité, le séquencement, le rythme des actions à réaliser. La synchronisation opératoire donne lieu à des activités de coordination. Dans notre étude nous avons mis en évidence qu'en l'absence d'une coordination effective, certains métiers de la conception construisent une représentation partagée de solutions supposées être développées par les métiers qui leur fournissent des spécifications. Cette construction s'appuie (1) sur des mécanismes de réutilisation de spécifications de problèmes similaires traités dans le passé et (2) des interfaces métiers ("Boundary spanners" [Gri99]), rôle joué par certains acteurs de la conception. Cette analyse débouche sur des recommandations ergonomiques aux niveaux méthodologique, organisationnel et logiciel.
Nous avons également analysé, sur la base de réunions de travail inter-métiers que nous avons enregistrées, les processus mis en oeuvre dans la co-conception. Le processus de coordination se manifeste dans ces réunions de travail par des dérives thématiques dont le but est (1) d'anticiper les tâches futures, et (2) de reconstruire l'historique d'un problème de coordination qui s'est posé, en l'absence d'une traçabilité effective de ce problème. Nous avons également souligné les difficultés d'utilisation en groupe des nouveaux outils numériques, e.g., maquette virtuelle, et l'utilisation privilégiée de plans-papier. En effet, les croquis rapides et les annotations semblent plus faciles à exécuter sur le papier qu'avec les outils informatiques. Nos résultats ont été pris en compte par le service de recherche de l'Aérospatiale qui a développé un prototype de "reporting" en ligne avec la maquette virtuelle. Ce "reporting" est un document HTML, comprenant des annotations, des images et des références. Ce document peut être créé en association avec la maquette numérique pendant une réunion de conception. Nous continuons cette analyse des réunions en nous centrant sur la notion de "point de vue" (cf. section 5.2).

La planification d'itinéraires



Participants : Sébastien Chalmé, Matthieu Grall, Willemien Visser.

La planification avait été examinée par le passé surtout comme l'une des principales activités cognitives intervenant dans des tâches de résolution de problème, notamment de conception. Dans les travaux que nous venons de commencer sur la planification d'itinéraires, cette planification constitue une tâche de résolution de problème en soi, ayant certaines caractéristiques de la conception, et faisant appel à diverses activités cognitives composantes.

La planification d'itinéraires, ou "conception d'itinéraires", est un processus cognitif dont le rôle est primordial dans les déplacements, e.g. la conduite automobile. Elle intervient aussi bien lors de trajets quotidiens planifiés in situ et pendant la conduite, que lors de déplacements plus complexes, planifiés au préalable. Les systèmes embarqués d'aide à la navigation actuels, bien que très performants pour guider pas à pas le déplacement d'un lieu à un autre, se révèlent inadaptés pour planifier un trajet passant par plusieurs lieux, selon des contraintes non seulement spatio-temporelles mais aussi subjectives. L'objectif applicatif de nos études, conduites en collaboration avec le LARA (La Route Automatisée), est de participer à la définition de nouveaux systèmes d'aide au déplacement. Si, juqu'ici, les études psychologiques et ergonomiques sur cette thématique ont examiné principalement la conduite [14], les études que nous avons commencées visent à examiner des aspects plus en amont, notamment la planification.

Deux expériences ont été conduites cette année. La première a été conçue pour identifier les activités qui interviennent dans la planification, leur rôle dans l'élaboration de plans, les connaissances et stratégies mises en oeuvre et les représentations construites. Nous avons demandé à 38 personnes de planifier un itinéraire à effectuer en voiture, préalablement à son exécution. L'itinéraire devait permettre d'accomplir, pendant une journée, une série de 13 tâches, chacune à un endroit différent dans la ville nouvelle de St Quentin en Yvelines (e.g., signer un papier à la banque entre 14 et 16 h, acheter des glaces à Picard-Surgelés, visiter un appartement dans le vieux village de Voisins-le-Bretonneux). À côté de la liste des tâches, les participants ont reçu une carte de la ville sur laquelle étaient indiqués les 13 endroits et le libellé des tâches associées. Pour pouvoir analyser l'influence de la connaissance des lieux traversés, deux groupes de participants ont été constitués, l'un avec une bonne, l'autre sans aucune connaissance de la ville nouvelle. A côté des itinéraires élaborés, nous avons recueilli les verbalisations provoquées des participants simultanément à leur planification. Nous venons de commencer l'analyse des données.

Dans la deuxième expérience, nous avons commencé à examiner les modalités de l'expression des plans élaborés. L'objectif de l'étude était d'analyser comment des personnes ayant planifié un itinéraire en font une description destinée à des interlocuteurs connaissant bien les lieux traversés ou ne les connaissant pas du tout. Les personnes effectuant la description connaissaient toutes bien les lieux (St Quentin en Yvelines).

Nous avons montré que les descriptions sont différentes selon les connaissances supposées des interlocuteurs auxquels elles sont adressées. Dans les deux types de description, les prescriptions d'actions et les repères spatiaux prédominent. Cependant, à l'intérieur de ces deux catégories, les informations présentées diffèrent : pour des gens connaissant bien les lieux, celles-ci sont centrées sur l'atteinte des buts. Ces descriptions se composent principalement de consignes générales ; elles comportent également une proportion importante de libellés de tâches. Les descriptions s'adressant à des interlocuteurs ne connaissant pas du tout les lieux sont plus longues, plus détaillées et plus concrètes. Elles se centrent sur les moyens à utiliser pour atteindre les buts. Ces descriptions se composent de prescriptions d'actions plus détaillées, et de repères spatiaux, non seulement de la destination finale (comme pour les gens connaissant bien les lieux), mais également de lieux intermédiaires [19].

Conception de logiciel



Participant : Françoise Détienne.

Le développement de logiciel présente aujourd'hui un enjeu économique et stratégique d'une telle importance que des modèles et outils spécifiques ont été développés pour suppléer aux limites de l'activité spontanée du concepteur de logiciel. L'objectif de l'Ergonomie Cognitive est d'améliorer l'adéquation des outils à leurs utilisateurs. A cette fin, les recherches menées en Psychologie de la Programmation apportent des résultats sur l'activité cognitive des concepteurs, précieux pour l'assistance à la conception, à la compréhension et à la réutilisation de logiciels. Une synthèse critique de ces travaux, dont beaucoup ont été menés dans notre équipe, a fait l'objet d'une thèse d'habilitation [10]. Ces travaux ont aussi donné lieu à un livre [Dét98].

Tout au long de ce travail de recherche, nous avons fait de nombreux emprunts théoriques à la Psychologie Cognitive. L'intérêt est de tester et d'étendre des modèles issus de la Psychologie en les appliquant à des situations qui ont de fortes caractéristiques écologiques[*]. Les modèles empruntés sont issus des domaines de recherche en résolution de problème, raisonnement par analogie, production et compréhension de texte. L'un des intérêts de ce travail a été d'analyser comment ces modèles s'appliquent à des situations complexes en génie logiciel, de discuter de leurs limites et d'ouvrir de nouvelles voies de recherche. L'Informatique est le domaine qui est l'objet de ces études. Mais c'est aussi un domaine d'application pour les résultats de ces études. Ainsi les résultats de ces recherches débouchent sur des spécifications ergonomiques d'outils[*] de programmation dans l'objectif d'améliorer la compatibilité entre les outils et leurs utilisateurs, les programmeurs.